Historique :

Tumaco fait partie des régions les plus sismiques du monde. Cette ville de 140.000 habitants est située sur la côte pacifique de Colombie, près de la frontière avec l’Equateur. En 1906 cette région enregistra un tremblement de terre supérieur à 8° sur l’échelle de Richter. Il n’y eut pas de dégâts sévères car l’île de Tumaco était alors à peine habitée. En 1979 et en 1983, tremblements de terre et ras de marée ont laissé dans cette région près de mille familles sans abri : maisons détruites et le plus souvent emportées et déchiquetées par des vagues d’une force jusqu’alors inconnue.

C’est alors que la Coopération Française vint prêter une assistance technique pour construire sur le continent, à trois kilomètres de Tumaco, un projet pilote de deux cent dix huit maisons financées par le ministère de l’équipement local, ICT. L’ambitieux projet initial, déplacer quatre mille familles situées en zone à haut risque et en régions lacustres, n’eut aucune suite après les six ans que dura la construction du projet pilote (1983-1988).

En 1991, à la demande du bureau National des Préventions de Désastres ONADE, le Gouvernement colombien obtint de la C.E. une aide pour construire près de 2000 maisons afin de déplacer les populations des zones lacustres situées le long des plages de Tumaco.

A ce projet, appelé “Réorientation de la croissance urbaine de Tumaco”, participe une équipe de plus de trente personnes : anthropologues, socio-économistes, sociologues, architectes, ingénieurs et techniciens, dirigés par deux codirecteurs, l’un colombien, R., nommé par le Gouvernement national, agréé par l’U.E. et l’autre français, K., nommé par l’U.E. et agréé par le Gouvernement de Colombie.

Le projet se déroulera sur quatre ans. Il a commencé au début de 1996. Il est prévu la construction d’une moyenne de six cents logements par an jusqu’en l’an 2000 (voir en annexe le condensé du projet en espagnol) Il s’agit d’un projet de développement intégré pour la construction de l’habitat par des populations dont le niveau de vie est très bas : la plupart de la population, rurale, n’atteint que très rarement le salaire minimum.

Le projet est conçu pour élever le niveau de vie des familles bénéficiaires, renforcer la formation à plusieurs niveaux et pour développer les organisations communautaires et de gestion.

La construction est prévue à deux vitesses : l’une rapide, pour construire de manière industrielle des structures de maisons avec leur toiture et l’autre, plus lente, où les familles bénéficiaires, défrichent les terrains et réalisent elles mêmes les finitions de leur maison (installations sanitaires et électriques, menuiseries, peintures, nettoyage etc.) sous la direction de techniciens du bâtiment.

Présentation du projet

-  Codirecteur national : M. R., ingénieur agronome.
-  Codirecteur français : M. K., architecte urbaniste.

Tumaco est une ville de six cent mille habitants de culture noire africaine, située sur une île dans le département de Nariño. Les douze quartiers, installés sur les plages – La Playa, Bueno-aires, Panama, Viento libre, et pointe de Fatima – seront déplacés sur un terrain urbanisé à 3 km de l’île sur le continent : La Ciudadela. Durée du projet : 5 ans, de 1995 à 2000. Autorités du projet : Ministère des Affaires Etrangères colombien et U.E. Contribution Gouvernement colombien : 5 224 000 écus. Contribution U.E. : 7 830 000 écus.

Résumé du plan d’approche

Le projet prétend reloger deux mille quatre cents familles qui vivent dans la ville de Tumaco. Ces familles vivent dans des maisons de bois, sur pilotis, construites de manière sauvage sur les plages publiques de Tumaco, zone à haut risque (île du pacifique, les marées y ont une amplitude de plus de quatre mètres cinquante).

Les habitants, population noire de forte culture africaine, passifs et très fatalistes paraissent être des gens désorganisés mais très solidaires. Dans chaque quartier est créé un bureau du projet où les leaders et aides sociaux sensibilisent les familles à leur prochaine vie : utilisation de salle de bain, évier, jardinage, respect du voisinage, avancement du chantier, alphabétisation, éducation sociale, hygiène. Ils collectent les apports des particuliers pour le plan d’épargne, organisent des rendez-vous entre les familles et l’équipe de gestion, favorisent la création de micro entreprises et surveillent les risques de nouvelles invasions.

Un tel déplacement compte sur une forte participation de la communauté des quartiers.

L’idée génératrice est de réaliser des actions socio-économiques pour améliorer la qualité de vie des familles bénéficiaires : éducation, formations professionnelles, créations de micro entreprises. Le but est que la communauté maîtrise le projet dans sa totalité pour entretenir le site et promouvoir d’autres déplacements.

Moyens mis en oeuvre :

-  Construction de maisons individuelles, appartements, structures sociales et éducatives,
-  Création d’un organisme d’assistance aux micro entreprises,
-  Création d’un plan d’épargne communautaire et individuel afin de pouvoir faire face à des périodes difficiles (problèmes de santé, création de micro entreprise etc….),
-  Intégration du nouveau quartier, la Ciudadela, dans la municipalité de Tumaco,
-  Semi auto-construction : demande d’une participation de quinze pour cent aux familles qui seront déplacées dans un lieu plus sûr,
-  Création et organisation d’un tissus socio-urbain avec une économie solide qui permettra d’améliorer les conditions de vie et d’éviter le grand nombre de pertes de vies humaines actuel.

Principales phases du projet :

-  Etude socio-économique des douze quartiers des plages de Tumaco,
-  Recensement des familles à déplacer,
-  Création des bureaux du projet de déplacement dans chaque quartier,
-  Election par la communauté de chaque quartier et formation des leaders. Ils servent de relais entre les familles et l’équipe de gestion du projet,
-  Formation d’aides sociaux locaux élus par les comités de chaque quartier.

Les travaux commencent à la Ciudadela en septembre 1996 : défrichage des terrains, urbanisation. Les premières fondations des habitations et la première maison sont finies en décembre 1996. Les terrains sablonneux sont traités avec des feuilles géotextiles recouvertes de terre végétale pour diminuer les mouvements de terrain et favoriser les plantations potagères et décoratives. Les fondations des maisons et lieux publics sont antisismiques, type colonne Balastre d’un diamètre de quarante centimètres et d’environ trois mètres de profondeur en grosses pierres roulées. Les structures des habitations sont en béton banché de dix centimètres d’épaisseur, type “Outinor”. Les toitures sont métalliques avec bardage laqué blanc.

Toutes les constructions sont conçues avec un système de ventilation naturelle (vide entre le haut des murs et la toiture, fiche technique jointe ) Tout l’équipement de finition des maisons (menuiserie, peinture – gamme de huit couleurs -, sanitaires, électricité) est imposé par le projet. Ces finitions rentrent dans le cadre de la semi auto-construction : les familles assistées d’un technicien doivent, elles-mêmes, les réaliser. La décoration intérieure et extérieure de chaque maison, clôtures et jardins, reste libre : au goût de chaque habitant.

Au fur et à mesure que les maisons sont achevées, les familles de la plage, suivant un plan établi avec les communautés de quartier et l’équipe de gestion du projet, déménagent. Le premier déménagement de quartier prévu en juin 97 est “el Bajito” (réalisé seulement en octobre 97 ). Dès le départ des familles, les maisons vides sont dégagées et détruites. Le site redevient public . Pour éviter une nouvelle invasion, l’armée établit un campement de garde.

Tumaco, février 1997, première étape

Cette première approche correspond surtout à la découverte du lieu, du projet et de la population bénéficiaire du déplacement. Les douze quartiers concernés se trouvent sur les plages de Tumaco, côté pacifique, étalés sur environ trois kilomètres. Assisté d’un des leaders communautaires, je fais une brève visite de l’ensemble des quartiers, rencontre les autres leaders, les aides sociaux et appréhende l’architecture, l’urbanisme et les fonctionnements socio-économiques des lieux. Je présente à toutes les personnes que je rencontre le but de ma visite et mon projet d’investigation.

A cette période, mon étude doit se concentrer sur le premier quartier, “el Bajito” qui doit être déplacé quelques six mois plus tard. Il sera donc inexistant à ma prochaine visite. El Bajito est le seul quartier qui n’a pas de ponton sur pilotis pour accéder aux maisons : à marée haute, il faut circuler sur l’eau. Les photographies montrent le tissus urbain, les principaux styles d’habitations, l’école et les lieux publics. Une grande attention est aussi portée aux intérieurs des habitations, avec quelques portraits des familles dans leur vie privée : détails des tenues, décorations intérieures, mobilier. Les artisans et commerçants sont aussi étudiés : épicier, tailleur, coiffeur, cordonnier, etc…, afin de pouvoir analyser les changements culturels et socio-économiques après déplacement.

Dès les premières discussions avec les familles, je peux me rendre compte qu’ils sont majoritairement en accord avec le déplacement pour diverses raisons. Mais principalement à cause de la peur des marées, l’hygiène et la pauvreté des habitations. D’un autre côté les enfants et adolescents adorent l’eau. Les baignades quotidiennes depuis le pas de la porte paraissent faire partie de leur culture. Par quoi vont-ils remplacer cette habitude, importante occupation quotidienne ?

Un des grands problèmes du projet sera l’organisation des ordures ménagères, aujourd’hui jetées à la mer depuis la fenêtre (qui ne fait que les déplacer). Demain plus de mer, la Ciudadela. Cette première étude me permet aussi d’évaluer les moyens technologiques utilisés pour la construction de la nouvelle ville, des fondations jusqu’à la toiture, ainsi que la création de micro entreprises : L’équipe de gestion forme des artisans à l’utilisation de matériaux naturels trouvés sur place – cailloux, gravier, sable, terre végétale – pour la fabrication de poutres, poteaux précontraints, briques sèches.

Tous les ouvriers participant à ces travaux sont les bénéficiaires des maisons. Dans un premier temps, tous les matériaux produits sont réservés à la construction de la nouvelle ville. Plus tard, ils seront destinés à la vente pour d’autres villes.

Tumaco, octobre 97, el Bajito

Le premier déplacement est réalisé le 18 octobre 1997. Deux familles seulement. Leur maison ayant été emportée, la veille, par le Niño (fort courant du pacifique qui engendre des raz de marée). C’est presque une fête, tout le quartier est présent pour les aider, les regarder et envier ces premiers à échapper aux caprices des eaux. La direction du projet profite de ces intempéries pour motiver les habitants et organiser le déménagement de 100 familles dès le lendemain. Le matin du 19 octobre, tout le secteur II du Bajito, (le plus joli quartier à déplacer), est encerclé par l’armée pour éviter toute réoccupation des habitations vides. Les maisons sont en partie démontées et les matériaux récupérés ou revendus par les propriétaires. Les familles sortent le peu de mobilier et affaires personnels sur le pas de porte et attendent les camions bennes. Au fur et à mesure que les camions partent, laissant une maison vide, un bull surgit et détruit l’habitation sous les yeux des voisins qui attendent leur camion et des familles qui ne seront déplacées qu’une semaine plus tard.

Certaines personnes non contrôlées mettent le feu à quelques maisons de bois encore debout parce que le bull prend du retard. Dans ce mouvement rapide et violent, dans l’ambiance générale, dans les réactions des déménagés, des restants derrière et même des responsables du projet, je peux découvrir la peur d’un moment très fort, pas toujours compris. Presque des images de guerre. En fin d’après midi, malgré l’encerclement militaire, une des maisons vides est envahie par une nouvelle famille décidée à y rester. La direction doit faire appel à la mairie et à la police pour qu’elle évacue l’habitation.

Les nombreux déménagements et destructions d’habitations (symboles d’une vie réussie en Colombie), dans une même journée, une semaine avant les élections municipales et départementales, provoquent une manifestation contre le projet par un parti politique opposé depuis le début à ce déplacement. Elle bloque la sortie des camions chargés de familles. Les autorités locales doivent intervenir pour calmer les esprits Ce jour, quatre vingt cinq familles emménagent à la Ciudadela. Les trois cents autres familles du quartier les suivront après les élections. De la même façon. Rapidement, car un déplacement lent coûte cher et retarde l’inauguration de la nouvelle ville, prévue en novembre 1997. Et cet événement doit servir de motivation pour les autres quartiers.

Tumaco, octobre 97, Maria auxiliadora

La visite de ce deuxième quartier s’effectue en compagnie du promoteur du quartier, D.. J’organise tout de suite une réunion dans le bureau local du projet pour présenter et expliquer ma démarche. Très peu de gens viennent. Uniquement des femmes. Maria Auxiliadora est composée de deux cent vingt six familles dont douze réfractaires au projet de déplacement pour diverses raisons. Selon elles, la Ciudadela va coûter plus cher en transport, car loin du centre-ville, avec une augmentation des charges comme l’électricité. La Ciudadela est envahie de moustiques alors qu’il n’y en a pas sur la plage. Souvent ces familles ont construit leur maison en dur et suffisamment haut pour ne pas être dérangées par les marées. Les grands axes de ce quartier sont des pontons de béton qui partent vers la mer depuis la rue principale, de sable, parallèle à “la calle de la playa”, rue goudronnée qui ceinture l’île de Tumaco. La population de ce quartier se repartie géographiquement d’après son niveau social :

-  Les plus riches, et aussi les premiers arrivés, habitent des maisons construites sur la terre ferme où l’eau ne monte qu’exceptionnellement.
-  La classe moyenne habite la zone des pontons (anciennement les quais de pêche de la plage réalisés par la ville).
-  Les plus pauvres, et aussi les derniers arrivés, occupent des passerelles de bois. Ce quartier a eu beaucoup de problèmes de violence dans le passé à cause de la drogue. Il comprend de nombreuses familles très pauvres, non recensées dans le déplacement. Elles sont arrivées durant les deux dernières années, espérant profiter du projet. Elles devront partir ailleurs, sans compensation, le jour du déplacement. Ce sont des habitants du quartier qui leur ont vendu de vieilles maisons ou juste les pilotis d’une maison effondrée à la suite de sa vétusté ou d’une marée trop violente.

Le projet de déplacement de population engendre de nombreuses spéculations. Les deux tiers des habitants n’ont pas de compteur électrique. Ils sont connectés directement sur le poteau le plus proche. Il n’y a pas l’eau courante. L’eau potable arrive, quatre à cinq fois par semaine, par des tuyaux en plastique qui sortent du sol. Personne ne sait jamais à quel moment. L’eau est ensuite stockée dans des bassines et des seaux.

Les gens ont hâte de vivre à la Ciudadela. Ils y espèrent la sécurité et le confort. Ce quartier doit être déplacé en mai-juin 1998. J’ai photographié les trois types de construction et d’urbanisme, ainsi que différentes familles que je retrouverai dans la nouvelle ville. En juin 1998 le quartier n’a toujours pas été déplacé et ne le sera pas avant un an. Dans le meilleur des cas.

Tumaco, Juin 98, el Triumpho

La visite de ce troisième quartier est effectuée en compagnie du promoteur du quartier, L.. J’organise une réunion dans le bureau local du projet pour présenter et expliquer ma démarche. Avec du retard, les gens arrivent. La salle est pleine et pour la première fois quelques hommes sont présents. Cette présence s’explique : le chantier étant arrêté, beaucoup d’habitants de la plage sont sans emploi. Particulièrement à cette nouvelle étape, je présente mon étude et précise bien ma position extérieure vis à vis du projet de déplacement de population de l’INURBE. En effet la population de la plage est dans un état de conflit violent avec le bureau de gestion du projet. J’ai besoin d’être accepté par la communauté.

El Triumpho est composé de cent cinquante sept familles recensées et présente le même urbanisme que Maria Auxiliadora Les grands axes de ce quartier sont des pontons de béton (appelés servicio) qui partent vers la mer depuis la rue principale, en sable, parallèle à “la calle de la playa”, rue goudronnée qui ceinture l’île de Tumaco.

La population de ce quartier se repartie géographiquement en fonction de son niveau social :
-  Les plus riches, et aussi les premiers arrivés, habitent des maisons construites sur la terre ferme où l’eau ne monte qu’exceptionnellement.
-  La classe moyenne habite la zone des pontons (anciennement quais de pêche de la plage réalisés par la ville). Dans le cas d’el Triumpho ces pontons sont fissurés et certains se sont effondrés, emportant les maisons à quai. A ce sujet, les propriétaires de des maisons détruites doivent, pour pouvoir bénéficier de leur nouvelle maison à la Ciudadela, reconstruire leur habitat, ne serait-ce que pour quelques mois. Sinon, ils sont exclus du recensement. Ici aussi une dizaine de nouveaux arrivants non-recensés devra partir sans indemnité au moment du déplacement. Une vingtaine de familles qui, en 1984, lors du premier projet français de déplacement, a reçu une maison à la Ciudadela, l’a vendu ou n’a pas pu payer l’acte de propriété que vendait l’ISETE, ex-INURBE. Ces familles ne sont pas recensées et devront aussi partir.
-  Les plus pauvres, et aussi les derniers arrivés, occupent des passerelles de bois.

Les promoteurs des quartiers rencontrent beaucoup de problèmes aujourd’hui. La population s’adresse à eux pour connaître l’avenir du projet. Mais personne ne sait. Dans certains quartiers, les promoteurs ne peuvent plus vivre chez eux au quotidien, sans violence. Dans le cas L., plus personne ne vient aux réunions. Tous les travaux communautaires sont arrêtés et les gens ont retiré l’argent du crédit rotatif. Ils ont perdu confiance en ce projet. Evidemment, suite aux événements, le nombre de personnes opposé au déplacement va croissant et la situation économique des habitants de la Ciudadela fait peur.

J’ai photographié les quelques types de construction et d’urbanisme, ainsi que différentes familles que je retrouverai dans la nouvelle ville, si toutefois ce quartier est déplacé.

Tumaco, novembre 98, el Triumpho

Je retrouve le promoteur d’el Triumpho, L., chez elle. Nous parlons des nouveautés dans le quartier. D’après elle, rien n’est changé depuis janvier 1998. Le projet n’a pas avancé, si ce n’est que même les promoteurs ont été licenciés. Il n’y a plus aucun contact entre l’équipe du projet et les communautés de la plage de Tumaco. Aujourd’hui les promoteurs des douze quartiers essaient de profiter de leur formation reçue pendant les deux ans et demi d’activité du projet pour monter une association. Cette association prétend travailler avec la communauté ex-bénéficiaire du projet, afin de continuer les diverses formations (éducation, culture, hygiène) et obtenir une meilleure écoute des responsables du Gouvernement afin de pouvoir demander des aides.

Critiques de E., ex promoteur du Bajito, par la communauté non déplacée :
-  elle a laissé des familles, non recensées, se faire déplacer à la Ciudadela,
-  mauvaise distribution des habitats, grande maison pour des petites familles,
-  un article est paru dans le journal “El Tiempo”, disant que les promoteurs étaient payés par quelques familles pour avoir de plus grandes maisons.

Rumeur sur les deux anciens codirecteurs du projet de déplacement de la communauté :
-  le colombien aurait bien détourné des fonds mais le directeur de la C.E., qui a cosigné les chèques, est donc autant responsable.

Tumaco, novembre 98, Urbanisacion de la Playa

Je rencontre l’ex-promoteur de “Urbanisacion de la playa”, S.. Nous discutons de ce quartier, de sa population. Pendant une journée, nous visitons quelques familles et le quartier. Comme toujours dans ces quartiers, l’odeur d’urine et celle des déchets se mélangent. Ces odeurs augmentent et s’atténuent avec les marées. Mais l’air est plus agréable ici, au bord de la mer, qu’à la Ciudadela. Il y a surtout beaucoup moins de moustiques.

A marée basse, les maisons sur pilotis paraissent être bâties sur une déchetterie . Il est dommage que la mairie ne fasse rien pour dégager les ordures ou apprendre aux gens à le faire et à recycler ces déchets. Depuis peu les employés de la mairie essaient de motiver les gens pour qu’ils recyclent les déchets et les ramènent vers la rue principale où les camions pourraient récupérer et traiter les ordures. Mais il est difficile de changer les habitudes de ces familles. Et puis il est si facile de tout jeter à la mer ! Les gens d’ici continuent de penser que la mer emporte tout. Il est vrai qu’à marée haute elle recouvre tout. Mais après son passage, elle en laisse une partie et ce qu’elle emporte se retrouve ailleurs.

Tumaco, avril 99, Urbanisacion de la Playa

Avec S. nous avons refait le parcours du quartier et visitons les familles que je souhaite suivre dans leur déplacement. Il est important de noter que d’après les dernières données du projet, ce quartier est le dernier à être déplacé, à la Ciudadela. Avec le budget restant. Au cours de nos rencontres avec les familles, nous pouvons nous rendre compte qu’elles n’ont plus aucun contact avec le projet et se demandent même si elles vont être déplacées un jour.

Depuis l’arrêt du projet, beaucoup de familles sont arrivées et ont aménagé la plage sans être recensées par le projet. Le jour du déplacement, ces nouvelles familles devront aller se reloger ailleurs et perdre leur maison, souvent louée, parfois achetée. Aujourd’hui il y a tant de rumeurs sur le projet ! Les plages auraient été vendues aux japonais pour le pétrole ou alors pour faire un canal qui traverserait l’Amérique du Sud et rejoindrait le canal de Panama, ce qui permettrait aux gros tankers de passer à Tumaco.

Les pontons, les ruelles et les maisons sont de plus en plus en mauvais état. Les familles attendent leur déplacement et la mairie n’engage plus aucun travaux, en accord avec le projet de la Ciudadela, puisqu’elles vont être déplacées.

Portraits :

-  Maison 957 : Q. vit ici depuis vingt ans avec ses enfants, mariée, son époux est jardinier au collège local. Ils sont désespérés d’aller vivre à la Ciudadela et n’y croient plus. “La vie à la Ciudadela est notre seule possibilité de pouvoir vendre des légumes ou autres. Ici notre maison n’est pas sur la rue. Personne ne passe sauf la mer” (N&B : famille avec télé et néon).
-  Maison 955 A : A. et B.. Ce couple a deux enfants de 4 et 6 ans. Ces enfants sont tombés plusieurs fois dans l’eau mais ont été sauvés à temps. Cette nuit, A. était aux toilettes côté mer. Le plancher s’est effondré et tout le monde est tombé à l’eau (photo : maison au fond du ponton avec l’homme en blanc).
-  Maison 228 : P., fille de C., 19 ans, elle suit un cours de formation en informatique au SENA. “D’un côté, je suis contente de partir à la Ciudadela, mais d’un autre côté, je sais que nous aurons des problèmes financiers. Je suis d’accord pour payer l’eau, l’électricité et les impôts locaux mais le problème, c’est de ne pas savoir avec quoi je vais pouvoir payer ceci” (N&B intérieur contre le poteau).
-  Maison 902 : W. : couple avec sept enfants, vivent dans une grande maison vide. Le couple ne travaille pas et vit au jour le jour.
-  Hôtel : “Je possède 5 maisons dont une de trois étages avec des chambres que je loue. Mais je refuse de suivre le déplacement car à la Ciudadela je vais me retrouver dans un Type 1 sans revenu. J’ai déjà écrit au ministre du logement pour lui expliquer mon cas mais si on ne me donne pas autant d’espace que j’ai ici, je suis prêt à tuer”.
-  Maison 900 : D.. “Je vis avec mon ami en union libre. Ma mère qui a 86 ans vit avec nous. On s’occupe d’un enfant de 5 ans qui vit avec nous.

Nous n’avons plus de travail depuis décembre 1998. Cela fait 20 ans que nous sommes dans cette maison et nous attendons impatiemment le déplacement”. (photo : le couple avec 3 enfants voisins et une ampoule au-dessus des portes).
-  Maison 844 : R. : 15 ans, né ici et habite une maison riche avec ses parents.

“Le déplacement peut être bien pour les gens pauvres qui ont une maison qui s’inonde tous les jours. Mais pour nous, avec une maison saine, où l’eau ne rentre jamais et avec de bonnes fondations, nous perdons beaucoup d’argent avec le déplacement. La Ciudadela me paraît mieux qu’ici. Je n’y ai été qu’une fois et nous verrons bien plus tard”. (photo N&B salon de cuir sombre, R. premier plan contre le mur blanc).
-  Maison 949 : B. : à l’extérieur une dame faisant la vaisselle, avec son frère et des enfants.

Rencontre avec le nouveau président de l’association des bénéficiaires, G. :(Vice-Président : O.)

“Notre association est formée de deux délégués par quartier, élus par les familles. A chaque réunion avec la codirection, les délégués sont censés m’amener les demandes des familles et je les transmets à la codirection des projets et vice-versa de la codirection vers les familles”. Pourtant personne ne suit le projet, même dans les quartiers du président alors que les codirecteurs du projet sont persuadés que la communication existe entre les familles et le projet. Après avoir discuté avec les divers délégués du quartier et le président, il est facile de se rendre compte que la communication ne passe pas du tout. D’après les nouveaux codirecteurs du projet, les anciens ont détourné beaucoup d’argent, plus par omission que par vol. L’argent était à leur portée. Ils l’ont pris. La nouvelle direction, elle, me paraît beaucoup plus honnête. Déjà tous les salaires ont été diminués d’un quart. L’argent est beaucoup plus destiné aux bénéficiaires qu’aux salaires illicites.

octobre 99

Je n’ai pas travaillé sur le quartier suivant, car officiellement sa population ne déménagera pas. Le projet s’arrête là !

J’ai rencontré diverses associations de bénéficiaires qui essayent de perpétuer les aides sociales de ce quartier par un système de formation. G., un ancien promoteur de quartiers, aujourd’hui, travailleur social, continue de s’occuper des familles des quatre quartiers qui seront déplacés officiellement. Elle organise trois réunions par semaine à la nouvelle ville – la Ciudadela, et une réunion par semaine à la plage – las Americas. Elle essaye d’organiser et de motiver des familles à créer de l’artisanat, du travail de jardin, développer l’hygiène, à organiser eux-mêmes des événements culturels aux dates des fêtes religieuses. Ceux qui ont un projet culturel doivent participer financièrement à cinquante pour cent des matériaux nécessaires. La codirection de la Ciudadela, si elle approuve le projet, finance les cinquante pour cent restant. Que se passera-t-il à la fin du projet, en mars 2000 ? Qui prendra la suite et comment ?

J’ai assisté à une réunion de G. de Manualidad et Capacitacion Ambiantal, dans le quartier Maria Auxiliadora. Thème du jour : travail du groupe, valeurs et anti-valeurs du groupe.

Début de réunion à quinze heures. Trente-cinq personnes sont inscrites. Il est seize heures et nous sommes quatre. La réunion commencera à seize heures trente avec la moitié des gens inscrits. La discussion part d’une grande fleur sans pétale, agrafée au mur. Tout commence par une morale sur la ponctualité et la motivation pour monter un projet. G. distribue un pétale à chaque personne où est écrit un qualificatif dualiste (beau vs laid, méchant vs gentil, organisé vs désorganisé, etc.).

En faisant le tour de la salle, chaque personne doit lire et décrire l’adjectif écrit sur son pétale, jusqu’à ce que le groupe découvre le mot. A ce moment-là, la personne se lève et agrafe le pétale à la fleur. Les idées développées par les femmes sont déjà écrites sur tous les pétales. Au fur et à mesure de la discussion, la fleur se construit, pétale après pétale. Ceux qui ne savent pas lire demandent à leurs voisins et chacun de ces adjectifs est ramené aux problèmes de la communauté (exemple : dialogue, les problèmes internes à une famille se discutent). Le jeu des pétales correspond aussi à leur premier dictionnaire de mots. Il dessine les règles communautaires (le mal, le bien, le respect, l’entente…).

Tout autant que le réflexe au quotidien des communautés pauvres, avec peu d’éducation, qui vivent d’échanges de marchandises ou de connaissances, ce système maintient les relations humaines dans un groupe. Chose qui disparaît de plus en plus dans la globalisation mondiale, où seul l’argent décide. Voilà où les cultures des pays développés et sous-développés ne peuvent pas se comprendre. De là viennent les échecs telle la Ciudadela.

Quartier el Bajito, mars 2000

J’ai revisité la plage du Bajito, dont les premières familles ont été relogées à la Ciudadela en octobre 97. Vivent ici encore cinq familles qui n’ont pas été déplacées, parce qu’il leur manque le justificatif de domicile que la mairie doit leur donner. Leur nouvelle maison les attend à la Ciudadela mais ils ne peuvent pas encore être relogés. Ces familles vivent dans des habitations en très mauvais état, et à l’extérieur de la plage, à chaque marée haute (toutes les douze heures), il leur faut des embarcations pour aller ou sortir de leur maison. En 97, ces habitations étaient reliées à la terre ferme par des pontons qui ont été détruits par le projet.

La plage qui devait être réaménagée en parc public, Eco-Parc, reste un no man’s land à l’abandon avec des traces d’anciennes fondations et des détritus de l’ancienne ville. On peut déjà remarquer quelques nouvelles invasions par de nouvelles familles, dernièrement arrivées. La ville et l’armée locale devaient contrôler les invasions de la plage, mais devant les retards sur le projet du parc, tout le monde a un peu oublié l’endroit.

Huit familles, près de la route, qui à l’époque étaient contre le projet, se retrouvent aujourd’hui à vivre dans un endroit tranquille car il n’y a plus personne. Ces familles prétendent vivre aujourd’hui de manière idéale, entourées de cocotiers, la mer pour pêcher juste devant eux.

La plage du Bajito est tous les jours visitée par des familles pour se baigner et pêcher. C’est devenu le centre sportif naturel des écoles de Tumaco. Pourtant toutes ces familles qui continuent de vivre sur la plage, de gré ou de force, devraient disparaître si le projet d’Eco-Parc se réalise. Où seront-ils logés ?

Aujourd’hui il est annoncé officiellement que sur les douze quartiers qu’il était prévu de déplacer, seulement les quatre premiers le seront.

L’association des bénéficiaires et la nouvelle fondation des bénéficiaires prétendent être toujours en contact avec les huit quartiers restant. Ils veulent trouver de nouveaux fonds pour continuer la Ciudadela et reloger toute la plage de Tumaco. J’ai rencontré quelques promoteurs de ces huit autres quartiers. Ils jalousent les déplacés et ne croient plus à un autre projet. Ils accusent l’association et la fondation de les ignorer et sont exclus de toute réunion ou rencontre officielle. Il est vrai que les membres de la fondation et de l’association des bénéficiaires sont tous des quatre quartiers déplacés.