Compte rendu de la table ronde sur la loi SRU à Librairie Païdos, Marseille.

Le 20 avril 2002, réunissant des artistes et conférenciers intervenants pendant les rencontres « DE VILLE EN VILLE », en présence de Marcel Roncayollo, géographe.

André JOLLIVET, Président de l’Ordre des Architectes de la Région P.A.C.A. :

« La Loi S.R.U. est une loi qui dote les collectivités territoriales de nouveaux instruments pour construire, pour aménager, pour organiser, considérant que le P.O.S. et les documents précédents étaient un peu obsolètes et ne répondaient plus à la réalité d’aujourd’hui. Donc il y a de nouveaux instruments qui sont le P.L.U., le S.P.O.T., etc… La loi n’est jamais que le moyen de rattraper un retard, de mettre un pays, une situation, à l’heure du temps.

La Loi S.R.U. sur l’urbanisme est un moyen aujourd’hui de remettre à jour ce qui est entré dans les mœurs.

Quel est aujourd’hui l’aménageur qui n’a pas compris que la réponse aux questions qu’il se pose se situe à l’échelle de l’intercommunalité (sur plusieurs communes) ?

La Loi S.R.U. met d’actualité cette chose-là en demandant d’établir des schémas de cohérence territoriale.

Tout le monde avait constaté que sur ces problèmes d’urbanisme et d’aménagement la question de la cohérence était importante, donc la Loi S.R.U. actualise cela.

Par contre, ce qu’elle comprend, qui est intéressant mais qui va sûrement produire des effets pervers, c’est ce qui est dans l’air du temps : c’est-à-dire qu’aujourd’hui les gens, les habitants, les citoyens veulent connaître ce qui se passe sur leur quartier, sur leur ville. Ils veulent être au courant des projets, ils veulent s’y investir. Ils y interviennent aussi avec les moyens qui sont les leurs : en faisant des recours sur les permis de construire, en manifestant, etc… On voit bien ce qu’il peut y avoir d’intéressant et ce qu’il y a de dangereux aussi à cette situation.

J’ai des hypothèses sur ce sujet : cela n’a pas toujours été comme cela, bien que les vues urbaines, les mobilisations des gens sur les rénovations-déportations ne datent pas d’aujourd’hui, depuis une cinquantaine d’années il y a des batailles comme cela. Mais aujourd’hui c’est un temps plus particulier qui est lié au fait que probablement on passe plus de temps chez soi que sur son lieu de travail, ce qui n’a pas toujours été le cas pendant l’ère industrielle et la naissance du mouvement ouvrier où effectivement les conditions de lutte étaient particulières.

Aujourd’hui, on n’a pas seulement des exigences sur son lieu de travail, on a aussi des exigences sur son lieu de vie. Ceci est amplifié par le fait que dans les quartiers, dans la ville, de nombreuses personnes sont des retraités en pleine forme qui s’investissent dans des associations, qui militent, etc…

Donc, il y a cette montée, cette exigence, les gens veulent savoir.

Je ne sais pas ce qui sortira de cela. Toujours est-il que c’est une chose qui existe et il y a des équipes qui ont travaillé sur ce phénomène. Ce qui m’interroge sur les dispositions qu’avance la Loi S.R.U. pour établir des concertations (il est vrai que la concertation est établie en amont). Autrefois, le P.O.S. était soumis à enquête publique, les gens pouvaient contester et écrire sur un cahier et le Commissaire Enquêteur répondait ou pas. Aujourd’hui, c’est en amont des procédures que les gens sont informés de ce qui va se faire et il y a obligation pour les responsables politiques de définir clairement, si possible en français, d’écrire ce qu’ils vont faire, quels projets ils ont pour leur ville, comment ils vont concevoir le développement, etc…Ce sont des phases importantes. Mais toutes les situations ne sont pas égales. Le travail qu’on a pu mener, il y a une vingtaine d’années avec le « Cerfise » sur certaines cités, ce n’était pas un travail de concertation, mais un travail qui allait au-delà et qui n’est pas le même travail que l’on peut mener aujourd’hui sur certaines cités. C’était un travail en fait qui visait, de par le temps qu’on y a passé, de par les dispositifs qui ont été mis en place sur le terrain, à rendre d’une certaine manière la dignité aux populations qui habitaient là. C’était un travail sur la dignité de l’individu plus que sur la concertation qui était totalement secondaire.

Ce travail a été mené dans des situations « expérimentales », le Petit Séminaire (quartier du centre de Marseille) fait partie de ces cas de figures qui se caractérisent aussi par l’absence du politique, une espèce de trou noir où l’institution politique ne vient pas et laisse faire l’équipe qui est sur le terrain. Situation qui a été différente après sur les Flamants (quartier nord de Marseille) puisque l’institution politique était présente, il y a eu des difficultés, cela a été beaucoup plus complexe.

L’expérience du Petit Séminaire se rapproche plus de ce que tu as pu voir en Amérique Latine où il y a des gens dans des situations extrêmes. Le plus important est de reconstituer la dignité à partir de situations plus extrêmes.

Après, il y a des situations moins conflictuelles, quand dans une cité on se sent obliger de consulter les habitants pour changer les volets, etc…

Toujours est-il qu’avec le temps la concertation est devenue institutionnelle, on l’a insérée dans les textes, elle est obligatoire. Je ne sais pas ce que cela produira, mais on est obligé aujourd’hui de réfléchir profondément sur les dispositifs réels à mettre en place pour que la concertation soit une véritable concertation, pour que d’une certaine manière la culture urbaine devienne une culture partagée. Il faut essayer de trouver de quelle manière elle peut l’être. Mais savoir de quelle couleur doivent être les volets ou les boîtes aux lettres, cela n’a strictement aucun intérêt. Ce sont là des caricatures de concertation auxquelles on a assisté depuis une quinzaine d’années parce que avec les différentes lois, il fallait, pour qu’on change les boîtes aux lettres ou qu’on modifie la couleur de la cage d’escalier, que 60 % des locataires votent le projet, etc… Cela ne m’intéresse pas. Est-ce que le politique va se servir de cela ? L’article que j’avais écrit, avait pour hypothèse qu’à long terme, en tout cas à l’échelle de dix ou quinze ans, la Loi S.R.U. serait aussi peut-être une loi de renouvellement du personnel politique. Parce que, d’une certaine manière, la démocratie si elle arrivait à s’imposer, mettrait le politique dans une situation plus d’arbitre et de gestion de la démocratie que du rôle dans lequel il est aujourd’hui encore. En tout cas pour la ville que je connais le mieux, Marseille, il est dans une relation totalement clientéliste avec des populations qui sont sur son territoire puisqu’en gros on sait que Beyrouth c’est Marseille et Marseille c’est Beyrouth. Chaque lieu à son fief, son petit chef qui dispense et distribue l’argent de la collectivité pour acheter les associations, les individus, etc… On est aujourd’hui dans la caricature de cela et je m’étonne d’ailleurs qu’il n’y ait pas suffisamment de personnes qui s’intéressent à cette question-là. La question aujourd’hui est : comment se débarrasser de la mafia politique à Marseille ?

S. Bertrand de BALLANDA, architecte de la ville de Martigues

Je reviens à la Loi S.R.U. décrite par André. Je crois qu’on n’a pas tout dit : si on reprend le problème des architectes, je ne les sens pas plus aptes aujourd’hui et ils ont le même chemin à faire que les autres pour appliquer la loi. La notion de densité est intéressante. Je crois que les politiques l’ont parfaitement compris. Eux non plus cela ne les arrange pas tellement de gaspiller du terrain. Ils sont plutôt intéressés par le fait d’éviter une augmentation des transports publics, etc… Pour peu qu’ils aient réfléchi un peu à la question de la ville, ils vont s’en sortir. Quelles capacités ont les architectes dans les projets de villes (sans avoir l’impression qu’on les oblige à telle ou telle hauteur) ? Je suis de l’autre côté de la barrière, je sais quelles difficultés on peut avoir. Je dis simplement que c’est un outil fabuleux, je suis exactement du même avis, mais je dis que l’on a tous à apprendre à l’utiliser. Nous, de notre côté ville, parce que cette nouvelle loi commence par dessiner la ville différemment, elle fait parler les politiques sur la ville, différemment. Je ne sais pas comment font des villes qui ne se sont pas posé la question « qu’est-ce qu’un projet de ville ? »,. Je ne sais pas si on sera tous à la hauteur. Mais j’en attends aussi beaucoup. Au sujet de la concertation, je ne sais pas quoi dire de plus qu’André, je l’ai tellement vue à toutes les sauces, de toutes les manières, je suis très mal à l’aise d’utiliser le mot « concertation » par contre le travail sur le dialogue avec les habitants c’est le quotidien de mon métier et surtout sur les lieux sans intérêt, des lieux où les gens marchent et où ils ne savent pas où ils marchent.

M. RONCAYOLO, historien

Je crois que la société évolue globalement et que la « densification » correspond à une demande sociale, demande sociale émanant de personnes qui souvent n’ont pas une demande bourgeoise à proprement parlé mais une demande que l’on appelle de « nouvelle classe ». Les personnes de cette nouvelle classe ne sont pas particulièrement enrichies mais ont un certain goût, un certain niveau culturel, etc… C’est ainsi que se fait d’ailleurs en grande partie la densification dans les arrondissements de l’Est de Paris, elle peut se faire au coup par coup, avec de l’autoconstruction, de l’autoréhabilitation et de l’autovalorisation. Cela avait commencé aussi à La Joliette (quartier bord de mer de Marseille), sur certains anciens entrepôts. J’avais l’exemple d’un inspecteur de Police qui avait un loft. Il avait quand même assez de temps et était arrivé à organiser les choses.

Je crois qu’il y avait là un processus important parce que c’était une dynamique sociale spontanée, qui partait de la base.

Puis, il y a l’autre densification qui consiste à dire que l’on va enlever tout ce qui est mauvais, tout ce qui est dévalorisation de quartier. Alors on passe facilement de la forme au contenu social.

Avec le projet « Euroméditerrannée » que l’on avait au départ, on croyait assurer comme cela une population de haut niveau et transformer par le fait de cette population, l’économie marseillaise. Alors que cela n’avait de fondement que si cela avait été dessiné et donc il aurait fallu construire pour cette nouvelle population. C’est pour dire que c’est par cette sorte de politique d’offre par le cadre qui me semble dangereuse. Et je dirai que je suis presque heureux dans le fond que cela ne prenne pas totalement. Il faut essayer de sauver les choses matériellement pour que cela ne pourrisse pas mais en même temps il faut éviter ces changements qui dans le fond ne correspondent pas nécessairement à une modification de la société locale. À mon avis si on avait fait un projet sur les bases initiales c’est-à-dire une marina attractive pour personnes de niveau de vie élevée, je pense que la coupure entre le Nord et le Sud de Marseille aurait été sacrément remontée, elle aurait été encore plus terrible que ce qu’elle est aujourd’hui. Autrement dit, il faut se replacer absolument dans le temps, dans les évolutions et surtout il ne faut pas avoir un urbanisme qui à partir de l’actuel se projette dans son avenir. Il faut se dire toujours que l’avenir se fait, se construit. Il faut être capable de revenir sur certaines choses. Il ne faut pas bloquer. Et j’ai un peu peur de voir que quand il y a une place vide on veut la remplir.

J’estime que finalement la manière de valoriser les friches n’est pas mauvaise. Cela n’engage pas trop la ville. On ne sait pas ce qui en sortira mais il peut en sortir quelque chose. Si vous faites un opéra de La Bastille dans un quartier populaire, ce n’est plus un opéra populaire. Il faut concevoir de la maturation, de la flexibilité dans un projet.

M. RICCIOTTI, architecte

Sur la loi S.R.U. ce qui m’intéresse c’est la disparition de pouvoir que cette loi va probablement annoncer. J’enregistre deux choses : vous dites que ce n’est pas tellement le lotissement qui vous inquiète mais plutôt la destruction du mode de vie, etc… Mais jusqu’aux dernières nouvelles, les gens qui vivent dans les lotissements sont parfaitement heureux même si les clôtures « espaces caniches » distantes de 4 mètres produisent un désespoir esthétique. Quand même je persiste à dire avec beaucoup d’arrogance que le consumérisme hystérique, que développe le lotissement depuis 20 ans, est une catastrophe à très court terme. Même si c’est un mode d’ « habiter » que les français ont plébiscité et qu’il faut savoir entendre. Sur la question de la loi S.R.U., quand vous dites, Madame (S. Ballanda), qui êtes architecte de la ville de Martigues, que les architectes ne sont pas préparés. On sent quelle inquiétude institutionnelle est la vôtre à voir ces nécessaires acteurs de demain, aux termes de la loi S.R.U. qui oblige à des partenariats différents ; à des partenariats intelligents, nouveaux, complexes et nourris. Parce que c’est le contenu de la loi S.R.U., demain il va falloir faire travailler des géologues, des géographes, des architectes, de nombreuses personnes de disciplines différentes. Et, on sent que la complexité disciplinaire que va appeler la loi S.R.U. prépare une dispersion du pouvoir qui peut être inquiétante du point de vue institutionnel ; mais, malgré tout, même si vous trouvez cela de mauvais goût, il vous faut entendre aujourd’hui que le pouvoir en matière de planification urbaine n’est pas entre les mains des architectes et des urbanistes. Je n’accepte plus ces lieux communs que l’on entend dans toutes les conversations comme si les architectes et les urbanistes avaient fait la ville. Ils ne font pas la ville, ils ne sont que des outils accessoires de production de la ville à l’intérieur d’un dispositif de planification qui n’est même pas entre les mains de l’appareil politique, excusez-moi, mais entre les mains d’appareils institutionnels, d’outils stratégiques, d’agences, de services à différents étages de la vie démocratique : du département, de la région, de l’Etat, des collectivités territoriales en général… Et on a quand même le sentiment du côté des politiques comme du côté des habitants, que le pouvoir sur la ville à échappé à quelqu’un. C’est terrible.

Ce qui me fait rêver dans la loi S.R.U., c’est que je me dis que le pouvoir va leur échapper. Il y a une fluidité et une disponibilité formidable. Cela va tout bouleverser, requestionner les choses et c’est en ce sens que j’ai un espoir sur cette loi, parce qu’elle n’appartiendra plus aux outils opérationnels qui échappent au pouvoir de l’habitant, au pouvoir de l’architecte, au pouvoir des techniciens et au pouvoir des politiques aussi. En ce sens là, cela m’intéresse. Mais peut-être que c’est une version indécente de ce que vous ne vouliez pas entendre !

M. RONCAYOLO,

Je suis en partie d’accord avec ce que vous (R. Ricciotti) venez de dire. Mais je ne suis pas sûr que toutes les possibilités ouvertes par une loi soient ensuite politiquement réalisables. C’est cela le problème. Il faut se servir de tout ce qui est possible. Je suis tout à fait d’accord. Mais alors je dirai volontiers, et là, je parle en tant que représentant des sciences sociales, que j’ai l’impression que les architectes ne prenaient pas le devant mais qu’on s’adressait à eux en premier lieu. Dans le cadre d’Euroméditerrannée, cela a commencé par un concours d’architecture et c’était désolant. Le problème n’est pas tellement que cela se passe ainsi, il s’agit de voir quelle est la pratique. On a appelé de grands architectes et de grands urbanistes espagnols, catalans ou autres, pour composer des choses qui étaient absurdes. La base économique est loin d’être définie et elle est loin d’être réfléchie.

Je ne suis pas d’accord avec vous sur un point : ce n’est pas parce qu’on fera venir davantage de spécialistes des sciences sociales (parce qu’ils interviennent déjà), que ce sera bien mieux, ce n’est pas forcément cela qui créera de la cohérence.

André JOLLIVET,

Au sujet du travail photographique qui a été réalisé avec des artistes sur le projet de Petit Séminaire : c’est un travail particulier. Jacques Reboud a construit sa position en marchant. Ce n’est pas quelque chose de planifié puisque cela a été une espèce de présence sur le terrain où il était repéré par les gens comme étant le photographe, mais il n’avait pas d’appareil. Puis dans une deuxième étape, il a été celui qui avait l’appareil et qui faisait des photos. Et dans une troisième étape il était celui qui révèle sur les murs des locaux les gens et ce travail de photographie. Il y a eu donc plusieurs étapes dans ce travail et cela a enrichi considérablement la façon de voir les choses sur la cité.

Cette mise en scène commune a apporté beaucoup à ceux qui travaillaient sur la cité et aux gens de la cité, ce se voir dans un lieux ensemble.

C’est pourquoi je trouve toujours intéressant ce travail avec la photo et les artistes en général, car il permet à ceux qui travaillent sur l’espace de révéler des choses qu’on ne voit pas comme cela au quotidien. C’est un regard différent qui apporte beaucoup aux concepteurs.

Sur « Les Flamants », c’est ce qui s’est passé mais avec une autre dynamique : on a obtenu des crédits pour que des jeunes des Flamants soient formés à la photo et participent à ce travail encadrés par un certain nombre de photographes de renommée.